Lettre à ma député

Après avoir signé la pétition EUCD.info, un peu d'action de lobbying citoyen ...

Voici la lettre envoyée à la député (PS) de la circonscription dont je dépends, quelques jours avant le début de l'examen du projet de loi à l'assemblée nationale :

Madame Geneviève Gaillard Député de la 1ère circonscription des Deux-Sèvres

Objet: Projet de loi DADVSI

Niort, le 11 décembre 2005

Madame la Député,

Le gouvernement français a déclaré l'urgence sur le projet de loi DADVSI (Droits d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information – n°1206), qui doit transposer la directive EUCD (European Union Copyright Directive – 2001/29CE).

J'ai demandé, par le biais d'une pétition d'internautes, au Premier Ministre et au Président de la République de retirer ce projet de loi de l'ordre du jour parlementaire, et d'organiser un vrai débat prenant en compte les avis de toutes les personnes concernées.

Ne sachant pas si cette demande sera reçue, je vous écris aujourd'hui car la loi qui aboutira de ce projet pourrait faire de moi, ainsi que de centaines de milliers d'autres personnes en France, des criminels en puissance.

Tout d'abord, permettez-moi de me présenter : j'ai 29 ans, je suis informaticien, installé sur Niort depuis le mois de mars 2005, actuellement en poste en tant que prestataire pour une mutuelle Niortaise. J'ai choisi, depuis plusieurs années déjà, de n'utiliser que des logiciels libres sur mon ordinateur, non pour suivre une mode ou paraître rebelle, mais pour les qualités intrinsèques de ces logiciels : leur utilisation est libre, il n'y a pas de royalties à payer pour les utiliser, et le code source qui les constitue est libre, toute personne qui le souhaite peut les modifier pour ajouter, modifier ou supprimer une fonctionnalité, pourvu que les droits des auteurs, fixés dans la licence d'utilisation du logiciel, soient respectés. Les logiciels libres suivent une philosophie simple : le progrès n'appartient pas à des entreprises privées, mais à l'Humanité. Le projet GNU, l'un des projets phare du logiciel libre, a d'ailleurs été reconnu Trésor de l'Humanité par l'UNESCO.

Grâce aux économies réalisées par l'utilisation de ces logiciels libres, je suis depuis plusieurs années un très bon client de “l'industrie culturelle” : je possède près de 400 CD audio originaux, et j'en achète en moyenne 5 nouveaux tous les mois. Force m'est de reconnaître que depuis plusieurs mois, j'ai toutefois tendance à commander ces disques à l'étranger, la culture ayant tendance à devenir un luxe en France. Je vous avoue que je n'ai toujours pas compris pourquoi un disque de Claude Nougaro me coûtait moins cher à faire venir des USA, frais de port compris, qu'à acheter dans une boutique française, alors que ce disque a été produit, enregistré et pressé sur notre territoire ...

Bref, je suis un gros consommateur de musique : j'en écoute dans ma voiture, dans mon salon sur ma chaîne Hi-Fi, sur mon ordinateur, dans la rue sur mon baladeur MP3. J'use donc de mon droit à la copie privée pour copier ces disques, afin de ne pas rayer l'original quand j'écoute de la musique dans ma voiture, et les convertir dans des formats divers et variés, en fonction de ce que j'utilise pour les écouter (format MP3 pour mon baladeur, format FLAC sur mon ordinateur).

Si j'en crois mes lectures et recherches sur le sujet, certains articles de ce projet de loi, ou tout du moins certains de ses amendements proposés par les industries logicielle (BSA) et “culturelle” (Vivendi-Universal), viseraient à autoriser la mise en place, par les éditeurs de contenus, de mesures techniques sur tout document numérique.

Ces mesures techniques, ou D.R.M. (Digital Rights Management), pourraient permettre aux éditeurs de contenus de contrôler l'usage qui est fait par les consommateurs de ces documents.

Récemment, la société Sony a intégré à certains de ses CD audio une telle mesure technique, restreignant l'accès aux plages musicales du disque lorsqu'il était lu sur un ordinateur, afin d'en empêcher la copie.

Outre le fait que ceci va à l'encontre du droit à la copie privée, il s'est avéré que le programme informatique constituant la mesure technique en question, s'installait à l'insu de l'utilisateur lors de la première insertion du disque dans le lecteur de l'ordinateur. Il s'est avéré que ce programme échangeait des données avec des serveurs sur l'Internet, toujours à l'insu de l'utilisateur. Plus grave, il s'est également avéré que ce programme, lors de son installation automatique sur la machine de l'utilisateur, introduisait des failles de sécurité rendant le système vulnérable aux attaques des virus et des pirates informatiques. Comble de l'ironie, il s'est avéré que le programme informatique constituant la mesure technique était en partie basé sur des logiciels libres, mais ne respectait pas les clauses des licences d'utilisation définies par leurs auteurs, et violait par conséquent leurs droits.

Voici, Madame la Député, un exemple de ce que les ayant-droits de l'industrie “culturelle” sont aujourd'hui prêts à faire au nom du “respect” des droits d'auteurs. Notez que les systèmes basés sur des logiciels libres n'étaient pas impactés par cette mesure technique, seul le système Windows de Microsoft, qui équipe 9 ordinateurs sur 10, était visé.

Bien sûr, on peut supposer que ces “indélicatesses”, vis-à-vis des citoyens et de leurs droits, ne sont qu'une grossière “erreur de jeunesse”, et que le fait de légiférer sur le sujet permettrait justement de limiter ces pratiques sauvages (ou devrais-je plutôt dire “criminelles” ?) de la part des éditeurs.

Quoiqu'il en soit, je tiens à attirer votre attention sur deux aspects inhérents à la légalisation de ces mesures techniques, aussi respectueuses semblent-elles être à première vue des droits des citoyens :

1. Ces mesures techniques ne peuvent être efficaces que si elles sont généralisées

En effet, si un équipement ne prend pas en charge ces fameux D.R.M., le mécanisme de protection du contenu serait court-circuité, et le document en question ne serait donc pas protégé contre les copies illicites.

C'est pourquoi l'on vous demandera de rendre obligatoire la présence de ces mécanismes dans tout équipement logiciel ou matériel permettant l'échange de documents numériques, et d'assimiler à un acte de contrefaçon le fait de permettre le contournement de ces mesures techniques.

2. Ces mesures techniques ne peuvent être efficaces que si elle restent secrètes

Si une personne mal intentionnée a connaissance du mécanisme employé dans la mesure technique, elle pourrait trouver un moyen de la désactiver, et donc permettre sa diffusion de manière illicite.

C'est pourquoi l'on vous demandera d'assimiler à un acte de contrefaçon toute action visant à mettre à disposition du public, directement ou indirectement, toute information qui permettrait, d'une manière ou d'une autre, le contournement de ces mesures techniques.

Madame la Député, en autorisant la mise en œuvre de ces mesures techniques, vous abonderiez dans le sens de quelques lobbies industriels, et vous feriez de moi un criminel :

- Je ne saurais admettre qu'autrui puisse prendre le contrôle de mon ordinateur sans mon autorisation

Du fait de couvrir par le secret leur mode de fonctionnement, il me serait impossible de vérifier que ces mesures techniques ne font que ce qu'elles sont censées faire.

Par simple principe de précaution, et pour pouvoir jouir d'un bien acquis de façon licite, je n'aurais d'autre choix que de trouver un moyen de faire sauter ces protections afin de garantir le respect de ma vie privée.

Ce qui ferait de moi un criminel.

- Je ne saurais admettre qu'autrui puisse me contraindre à utiliser exclusivement des produits ou logiciels habilités par une industrie quelconque

Du fait de la généralisation et du secret couvrant ces mesures techniques, on m'ôterait de facto le droit d'utiliser des logiciels libres pour accéder à des données numériques acquises de façon licite, car ceux-ci sont fournis avec leur code source, et j'aurais alors la possibilité de les modifier et de détourner la fameuse mesure technique. Par conséquent, seuls des produits ou logiciels habilités par les ayant-droits pourraient être utilisés pour reproduire des œuvres de l'esprit protégées par ces mesures techniques.

Par mon refus d'accéder à une clause tenant à de la vente forcée, et pour pouvoir jouir d'un bien acquis de façon licite, je n'aurais d'autre choix que de trouver un moyen de faire sauter ces protections afin de garantir interopérabilité et droit d'usage.

Ce qui ferait de moi un criminel.

- Je ne saurais admettre qu'autrui puisse me forcer à acheter plusieurs fois le même produit

Les mesures techniques doivent permettre aux éditeurs de contrôler l'usage qui est fait d'une œuvre de l'esprit, ils seraient donc en mesure de limiter les possibilités de copie privée, en empêchant par exemple la conversion du document dans un autre format.

Par mon refus de devoir acheter autant de fois une même œuvre de l'esprit, acquise une première fois de façon licite, que j'ai de supports différents permettant de la reproduire, je n'aurais d'autre choix que de trouver un moyen de faire sauter ces protections afin de faire respecter mon droit à la copie privée.

Ce qui ferait de moi un criminel.

Madame la Député, vous serez probablement amenée à discuter de ce projet de loi à l'Assemblée Nationale, lors de deux séances de nuit, les 20 et 21 décembre prochains, sous le coup d'une procédure d'urgence déclarée par le gouvernement, l'Union Européenne menaçant la France de sanctions économiques si elle ne transpose pas le texte d'ici la fin de l'année.

Vous voudrez bien noter que les menaces de sanctions de l'U.E. n'ont pas vraiment lieu d'être, dans la mesure où l'U.E. n'a pas rendu son rapport sur le sujet dans les temps, et surtout que Tilman Lueder, chef de l'unité Droits d'auteurs et économie de la connaissance de la direction Marché intérieur et services de la Commission Européenne, a déclaré au mois de mars que son unité envisageait de revoir l'acquis communautaire relatif au droit d'auteur, notamment à causes de problèmes de double-paiement et d'interopérabilité, et que ces problèmes ne trouveraient pas de solutions avant 2007.

Pour mémoire, la directive que l'on vous demande de transposer, a été présentée à la Commission Européenne par Mme Janelly Fourtou, femme de l'actuel P.D.G. du groupe Vivendi-Universal, groupe co-auteur de nombreux amendements au projet de loi DADVSI. Le texte présenté à la Commission Européenne l'a été suite aux pressions de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, organisation dont le fonctionnement et les productions passés sont actuellement clairement remis en cause, et qui tente notamment, depuis plusieurs années déjà, de rendre le logiciel – une œuvre de l'esprit par définition – brevetable.

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), qui a rendu récemment un avis favorable à la mise en place des mesures techniques évoquées dans le projet de loi DADVSI, est formé d'une majorité de représentants d'industriels, parmi lesquels un éditeur de logiciels américain, ayant également ses entrées au sein de l'OMPI, et condamné pour abus de position dominante par la Commission Européenne. Les associations de consommateurs sont sous-représentées au sein du CSPLA, et ce conseil a par ailleurs refusé d'accueillir des représentants du monde des logiciels libres, arguant du fait que cela créerait un déséquilibre entre “les divers titulaires de droits” et “les diverses catégories d'œuvres” représentés.

Je me permets donc de douter de l'objectivité de cette commission, et je ne peux aujourd'hui que vous inviter à faire de même lorsque sera venu le moment de légiférer sur la question.

Les droits des auteurs doivent être respectés, c'est l'évidence même, mais pas au prix de la criminalisation des pratiques légales des citoyens, et au seul bénéfice de quelques multinationales.

Dans l'espoir de ne pas devenir sous peu un criminel, je vous prie d'agréer, Madame la Député, l'assurance de mes sentiments distingués.

Voici la réponse reçue le lendemain :

Bonjour j'ai pris connaissance de votre courriel et je transmets à mes collègues de la commission compétente sur le sujet,afin de vous apporter une réponse quant à la position de notre groupe sur le sujet. Bien à vous. GGaillard

Je n'ai jamais reçu de réponse complémentaire ...

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